jeudi 16 août 2012

Formes en forêt de Coye

Coye-la-Forêt (Oise), 15 août 2012. — Lieu à la fois immuable et sans cesse changeant, la forêt de Chantilly offre, dans l'espace d'une simple balade, mille regards fugaces, cent pensées éphémères et parfois l'occasion de quelques réflexions qu'inspirent au promeneur les formes qu'offrent la nature comme son renouvellement et, par la magie de la photographie, de ne pas les oublier avant de les partager.


La forêt, c'est d'abord le spectacle de ces futaies dont les chênes sont rois, au centre d'une cour respectueuse qui semble savoir s'incliner devant eux.


Au hasard du sentier, l'apparente anarchie de la ramure dessine des formes que met en valeur le voilage d'un feuillage encore dense, encore vert et qu'on sait suffisamment éphémère pour apprécier l'instant.


Ces formes parfois étranges surgissent parfois devant l'œil au hasard d'un contre-jour et, puisque nous parlons d'œil, comme si nous étions regardés — de haut — par quelque étrange, indifférent et sombre animal aux yeux en corne d'escargot.


Plus spectaculaire est la rencontre avec un arbre foudroyé (un hêtre?) qui, même s'il n'arbore plus au cœur de l'été que sa tenue d'hiver, n'en est que plus impressionnant. Les géants s'abattent aussi, un jour ou l'autre, et l'on devine même que les articulations ligneuses qui retiennent encore les deux parties du tronc l'une à l'autre finiront par se distordre, se disjoindre avant de se séparer irrémédiablement: dans quelques mois, quelques années... Qui le sait, sinon peut-être les forestiers qui, pour la sécurité des promeneurs ou, plus trivialement, pour des raisons de gestion sylvicole, trancheront dans ce qui n'est déjà plus le vif.


Vu d'un peu plus loin, on ne sait plus dans quel sens regarder: comme si l'on avait ici un animal fabuleux saisi dans une dernière poussée, une dernière mêlée, un dernier appui sur ses pattes sans se préoccuper du reste et surtout pas de ces humains à lui si étrangers.


Ailleurs, ce sont les tailles n'ayant laissé subsister que la base du tronc qui présentent des reliefs à la fois réguliers et irréguliers, des couleurs et des luminances si variées, comme une stèle encore brillante à la mémoire du seigneur qui n'est plus, et dont les fentes apparentes sont les issues par lesquelles apparaissent ou disparaissent d'industrieuses mais discrètes fourmis qui ont élu pour résidence le cœur du monument. Ces lignes mêmes inscrivent le destin d'une stèle appelée à n'être qu'un souvenir mais qui nous offre encore sa singulière beauté, ni éphémère ni éternelle. Toi qui es appelé à passer, profite du jour.


Les fragments de troncs abandonnés nous gratifient de leurs motifs sculptés au hasard des intempéries, des visites d'insectes ou de l'action invisible des bactéries. Il semblent se répéter à des échelles de plus en plus petites en continuant à jouer sur les différences de teintes et de luminosité: irisation fractale, diraient peut-être ceux qui, sensibles à l'esthétique de la nature, n'en ont pas moins conservé l'esprit de géométrie.


Dans cette forêt — mais c'est de fait le cas de toutes les forêts de France —, l'être humain a laissé son empreinte. De quand cette borne date-t-elle donc? Elle est encore de pierre — matériau qu'on ne voit plus guère que rarement sur les routes nationales ou départementale —, et le burin y a laissé sa trace: 1003 ou plus vraisemblablement 1300 (et sans doute 1300 mètres). Mais par rapport à quoi? à partir de quel endroit? Peu importe au fond...


Peu importe, car cette borne plantée en bordure de chemin, à borne distance des premiers grands arbres est déjà envahie de mousse, cernée par l'herbe sauvage qui semble l'enlacer pour mieux la conquérir, l'étouffer (à la vue des regards pour commencer), la conquérir et l'annexer. Après tout, cette étonnante symbiose n'est-elle pas le destin vers lequel elle a choisi de pencher?